TRAFIC ET EXPLOITATION DES ENFANTS AU BÉNIN : DE LA SOLIDARITÉ FAMILIALE A LA VIOLATION DES  DROITS DES ENFANTS
Le trafic et l’exploitation des enfants ont toujours cours au Bénin parce qu’ils y ont trouvé un terreau favorable. Aussi évoluent-ils en proportion inverse des efforts louables que déploient les autorités béninoises pour les éradiquer. Mais des chances d’une éradication totale de ces actes qui portent gravement atteinte aux droits  des enfants existent.

Par Mikaïla Kassoumou

(Cet article sorti de mon « frigo », a été publié pour la 1ere fois en 2004 dans « La revue des Droits de l’Homme » des Étudiants de l’Université Catholique de Lyon).

 « l’Etinéro », un navire battant pavillon nigérian affrété par une compagnie béninoise transportant officiellement 139 personnes à son départ de Cotonou est soupçonné de transporter des enfants esclaves en direction du Gabon. Ce navire a été successivement refoulé des ports du Gabon et du Cameroun. Après avoir fait près de deux semaines en mer, le navire est revenu à Cotonou avec 43 mineurs de diverses nationalités de l’Afrique de l’Ouest à bord. Cette affaire a mobilisé aussi bien les autorités béninoises que les organisations nationales et internationales travaillant pour la défense des droits de l’enfant.

Courant septembre 2003, 205 enfants âgés de 6 à 17 ans travaillant dans des carrières à Abeokuta dans l’Etat d’Ogun au Nigeria ont été découverts. Les parents des enfants exploités percevaient annuellement entre 70.000 et 80.000 F CFA (106,71 et 122 Euros).

L’Affaire Etinéro et récemment celle des enfants utilisés comme esclave à Abeokuta au Nigeria ont révélé au grand jour aussi bien sur le plan national qu’international le trafic ignominieux des enfants qui a cours au Bénin.

De quoi s’agit-il en fait ? L’ONU considère que  » le trafic comprend tous les actes impliqués dans le recrutement ou le transport de personnes à l’intérieur ou au travers de frontières, impliquant la tromperie, la coercition ou la force, l’asservissement à l’endettement ou la fraude, dans le but de placer ces personnes en situation d’abus ou d’exploitation, telles que la prostitution forcée, les pratiques apparentées à l’esclavage, la maltraitance ou l’extrême cruauté, le travail à rythme inhumain et les services domestiques abusifs. « .

Au Bénin les enfants victimes de trafic sont généralement utilisés comme une main d’œuvre bon marché aussi bien au Bénin que dans les pays de l’Afrique de l’Ouest tels que le Togo, le Nigeria, la Cote d’ivoire et de l’Afrique centrale comme le Gabon. Le trafic des enfants affecte aujourd’hui tous les continents à des degrés divers. Il est la troisième activité lucrative du crime organisé dans le monde après le trafic des stupéfiants et d’armes légères. Il représente une industrie de 3 milliards de dollars par an. Sur le plan mondial le nombre des enfants victimes de trafics divers serait dix fois supérieur à celui de la traite négrière. Aussi appelle t-on de plus en plus ce phénomène l’esclavage des temps modernes.

l’Agence de presse SYFIA- Bénin sur la foi des informations recueillies auprès de la Brigade pour la protection des mineurs signale que de 1998 à 2001, 2053 mineurs ont été interceptés aux frontières du Bénin. Des statistiques récentes données par Angola Presse dans son édition électronique indiquent que 600.000 enfants béninois de moins de 14 ans travaillent, dont 49.000 hors du pays. On peut se permettre de douter de ces chiffres qui pourraient être plus élevés à cause tout au moins de la porosité des frontières béninoises et de la corruption d’une grande partie des agents des forces de l’ordre qui sont censés mettre en œuvres les mesures prises par le gouvernement béninois pour lutter contre le phénomène aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.

Du galvaudage d’une ancienne forme de solidarité envers les enfants pauvres

Enlever l’enfant de sa cellule familiale et le placer ailleurs a été une forme ancienne de solidarité qui constitue aujourd’hui pour l’hydre du trafic de l’enfant un terreau bien riche. Jadis, les enfants appartenant aux familles pauvres sont envoyés chez des proches qui sont plus favorisés pour y être éduqués. Ce phénomène a toujours cours dans une moindre mesure dans certaines régions du Bénin. La plupart des premiers intellectuels du Bénin sont les purs produits de cette école de la vie où la solidarité et l’obligation qu’a le riche de partager sa richesse avec le pauvre étaient des valeurs cardinales. Les enfants étaient placés dans des familles qui ont ou non un lien direct avec les leurs. « Généralement les enfants qui ont été élevés dans d’autres familles que les leurs ont une éducation exemplaire », fait remarquer Isabelle, une Couturière qui a été élevée pendant dix ans dans une autre famille. « Je ne serai jamais devenu ce que je suis maintenant si j’étais élevé dans ma famille nucléaire », raconte Marc un Docteur en Médecine. « Dans ma famille adoptive la vie n’a pas été du tout facile pour moi, mais aujourd’hui je suis très content de l’éducation très solide qui m’a été donnée aussi bien par ma famille d’accueil et l’ensemble de la communauté villageoise qui pouvait m’infliger des punitions et me confier des travaux à faire parce que je lui appartiens en premier. Aujourd’hui tout cela a disparu, chaque famille s’est repliée sur elle-même et se défend contre la misère comme elle peut. Ce n’est pas du tout étonnant que nous assistions au trafic et à l’exploitation des enfants « , poursuit-il avec émotion. En ce qui concerne l’individualisme très poussé auquel Marc fait allusion, Mathieu, un enseignant de Porto-Novo déclare : « La vie devient de plus en plus chère et il est très difficile maintenant de garder les enfants de ses frères et de ses sœurs qui n’ont pas les moyens de les élever pourtant ils continuent d’en faire beaucoup ». Dans certaines localités rurales du Bénin où l’agriculture se pratique encore avec des moyens très rudimentaires, avoir plusieurs enfants permet de disposer d’une main d’œuvre importante. Cette stratégie selon Paulin, père de 23 enfants est « un piège qui accroît généralement la pauvreté des familles nombreuses au lieu de l’éloigner ».

Le trafic et l’exploitation des enfants sont des phénomènes qui d’une part ont des racines lointaines et d’autre part ont pour cause la pauvreté des familles dont les enfants victimes de trafic sont issus. Cette seconde raison est d’autant vraie que les régions pourvoyeuses des enfants sont des zones où les populations vivent dans la boue de l’indigence ou tout simplement dans la misère. Etant dans cette situation ces familles sont animées du souci d’améliorer leurs conditions de vie en faisant travailler leurs enfants à un âge précoce afin que ces enfants puissent avoir des chances de survivre et si possible les aider en retour. Pour Jeanne une commerçante du marché Dantokpa à Cotonou, « le trafic et l’exploitation des enfants sont dus à une adaptation malheureuse de la solidarité familiale qui avait existé à l’endroit des pauvres, des moins favorisés de la vie aux conditions actuelles de la vie ».

De la nécessité d’arrêter le trafic et l’exploitation des enfants

Le trafic et l’exploitation des enfants créent de graves préjudices à ces derniers. Les enfants victimes de ces phénomènes sont privés du droit à la famille, à une éducation normale, à la protection contre l’exploitation et les abus. Etant donné que ce trafic viole gravement les droits des enfants qui sont l’avenir de demain, il urge que le gouvernement béninois s’attelle à éradiquer ce phénomène qui risque de vider peu à peu le pays de ses futures forces productives. C’est vrai que d’énormes efforts ont été réalisés par le bénin, mais il convient tout de même de signaler que des progrès restent à faire. La ratification par le gouvernement béninois des divers instruments internationaux visant la protection des droits des enfants est très louable. Il faut aussi reconnaître que le Ministère de la Protection Sociale et de la Famille depuis la survenance de l’Affaire Etinéro prend très au sérieux les questions relatives à la violation des droits des enfants. La volonté du gouvernement béninois de lutter effectivement contre le trafic et l’exploitation des enfants a été encore réaffirmée en mars 2004 à travers la création d’un Observatoire National de lutte contre l’exploitation et le trafic des enfants. S’il est vrai que la volonté politique affichée par le Bénin à lutter contre ces phénomènes est sans ambiguïté, on constate sur le terrain : le manque de moyens pour contrôler les frontières et la corruption des agents chargés de contrôler l’entrée et la sortie des mineurs du territoire. Ces paramètres qui constituent de grands handicaps sont à prendre en compte si l’on veut réellement stopper ces phénomènes.

Une lutte efficace contre le trafic et l’exploitation des enfants au Bénin passe par plusieurs actions qui doivent être menées concomitamment. La lutte contre la pauvreté doit être la première bataille à mener. Souvent les actions menées aussi bien par le gouvernement que par les ONG ne mettent pas suffisamment l’accent sur la pauvreté des populations rurales, pauvreté qui les oblige à confier leurs enfants à des trafiquants. Il revient à l’Etat de créer des conditions favorables à la vie dans les zones pourvoyeuses d’enfants au trafic.  » Si l’Etat met à notre disposition le minimum qu’il nous faut pour vivre nous ne serons pas tentés d’envoyer nos enfants travailler au Nigeria » déclare Mohamed, un cultivateur vivant dans un village frontalier du Bénin.  » L’année passée mon revenu annuel issu de la vente de coton était de 61.500 F CFA (93,75 Euros), comment voulez-vous que je subvienne seul aux besoins de mes trois femmes et de mes 17 enfants. Les sensibilisations que les ONG viennent faire pour nous demander de ne pas envoyer nos enfants au Nigeria ne suffisent pas », poursuit-il. Ensuite il faudrait continuer à sensibiliser les populations sur la dangerosité du phénomène et la sévérité de ses conséquences.

Il faudrait également que l’Etat béninois mette tout en œuvre pour contrôler entièrement et correctement ses frontières. Quant à la corruption elle doit être combattue surtout aux frontières, lieux par lesquels les mineurs sont acheminés. Certains agents chargés de contrôler les déplacements au niveau des frontières perçoivent de l’argent chez les trafiquants afin de les laisser passer avec leurs butins. La lutte contre la corruption des agents devant mettre en œuvre les décisions gouvernementales et les instruments internationaux de lutte contre l’exploitation et le trafic des enfants auxquels le Bénin a souscrit aura l’avantage de diminuer considérablement le trafic et l’exploitation des enfants.

M.K